Type de texte | source |
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Titre | \"Commentaire de l’Épître à son fils (Vrais et faux connaisseurs)\", lu le 5 mai 1714 à l’Académie royale de peinture et de sculpture |
Auteurs | Coypel, Antoine |
Date de rédaction | 1714/05/05 |
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Date d'édition moderne ou de réédition | 2010 |
Editeur moderne | |
Date de reprint |
, p. 105
« Quelques-uns revêtus du nom de connaisseurs,
Arbitres ignorants, s’érigent en censeurs. » (11e et 12e vers de l’Épître)
Mégabise, prêtre de Diane d’Éphèse, étant avec Alexandre et Apelle, vantait avec excès un ouvrage de peinture fort médiocre ou mauvais, et en blâmait d’autres, qui méritaient de grandes louanges. Les écoliers du peintre, et même ceux qui broyaient ses couleurs, riaient entre eux des décisions téméraires du grand seigneur, ce qui fit qu’Apelle prit la liberté de lui dire : « Pendant que vous gardiez le silence, ces jeunes écoliers admiraient la magnificence de vos vêtements, et l’or et la pourpre que l’on y voit briller leur imposait ; mais, dès que vous avez voulu décider sur un art sur lequel vous n’avez aucune connaissance, ils ont perdu le respect qu’ils vous doivent et rient entre eux de vos décisions. » Cette aventure n’a pas corrigé beaucoup de gens. Il semble même que la race des Mégabise soit venue jusqu’à nous. Cet air de décision téméraire, enfant de la vanité, semble être surtout affecté aux jeunes gens qui croient par là se distinguer, car ils cherchent d’ordinaire à établir leur réputation en attaquand les choses les plus respectables et les personnes les plus illustres.
Dans :Apelle et Alexandre(Lien)
, p. 101
« Consultez le public et fuyez les flatteurs,
De vos plus grands défauts lâches admirateurs. » (31e et 32e vers de l’Épître).
On ne peut, ce me semble, trop imiter l’exemple d’Apelle qui, exposant ses tableaux publiquement, se cachait pour mieux écouter les sentiments du public et pour en profiter ; il se cachait afin que ses jugements fussent plus libres et plus naturels, car quel moyen de démêler la vérité quand, au milieu d’une foule à qui on a donné son ouvrage en spectacle, on s’y donne en même temps soi-même, et qu’entouré de partisans choisis, par une vanité ouverte et déclarée ou une humilité suspecte, on arrache ou l’on mendie des applaudissements, lorsque l’on a peut-être besoin de critiques salutaires ? On en s’aperçoit pas que la gloire la mieux méritée cesse de l’être quand elle est trop recherchée. Si nos ouvrages sont bons, tôt ou tard on leur rendra justice sans qu’il nous en coûte des sollicitations. S’ils sont mauvais ou défectueux, songeons plutôt à nous corriger qu’à nous défendre.
Dans :Apelle et le cordonnier(Lien)
, p. 102
L’imitation plaît généralement aux hommes, puisque dans les moindres objets exactement imités, elle fait toujours son effet. On ne la peut trop rechercher dans les grandes choses, il n’y a que les demi-savants prévenus ou les peintres gâtés par la routine qui n’y soient pas sensibles.
Les petits tableaux des Flamands et des Hollandais sont bien recommandables par cette partie et je suis quelquefois fâché que l’on les bannisse entièrement des cabinets où l’on rassemble des tableaux des anciens maîtres d’Italie : je sais qu’il manque aux premiers le choix, la noblesse et l’élévation qui se trouvent dans les derniers ; mais dans les sujets qui leur conviennent, ils sont quelquefois parfaits, même par la naïveté des expressions.
Le Calfe, dans les objets qu’il a imités d’après nature, me paraît parler le langage de la peinture aussi bie que le Giorgione et le Titien, avec la différence qu’il ne sait pas dire d’aussi grandes choses que ces grands maîtres de l’art.
Il faut convenir que tout est imitation dans la peinture. L’on imite avec des traits et des couleurs ce que l’on voit devant les yeux ou l’on imite ce que les idées du génie ont tracé dans l’imagination. Aristote dit que les peintres aussi bien que les poètes faisaient dans leur imitation les hommes ou meilleurs par rapport à nous ou plus méchants ou semblables : en effet, ajoute-t-il, Polignotus peignait les hommes meilleurs, Pauson les peignait plus méchants et Denis les faisait semblables. Par peindre les hommes meilleurs, il entendait apparemment ce qu’Élien a confirmé en parlant de Polignotus, lorsqu’il dit qu’il peignait toujours de grands sujets et qu’il visait à la perfection ; que Denis l’imitait en tout, à la grandeur près. Ils vivaient tous deux du temps de Xerxès, de Sophocle et de Socrate.
Aristote a dit qu’Homère faisait les hommes meilleurs. Nous avons de même pu dire de nos jours que Corneille dans ses tragédies avait fait les hommes meilleurs et que Racine les avait fait semblables. Michel-Ange et Raphaël ont peint les hommes meilleurs par la grandeur de leur goût et l’élévation de leurs idées. Le Titien les a fait semblables. Les Flamands et les Hollandais les ont fait plus méchants, c’est-à-dire par la bassesse des sujets et leur petit goût du dessin.
Dans :Polygnote, Dionysos et Pauson : portraits pires, semblables, meilleurs(Lien)
, 103
L’histoire des deux tableaux du Guide et du Dominiquin faits en concurrence à Saint-Grégoire de Rome pourront peut-être vous le persuader. Quand ces deux ouvrages furent découverts au public, tout Rome courut pour les voir, comme un duel de deux rares génies différent de celui d’Apelle et de Protogène qui ne combattaient que pour la finesse d’une ligne bien proprement tirée ; car ceux-ci combattaient pour toutes les parties de la peinture.
Dans :Apelle et Protogène : le concours de la ligne(Lien)